« Femme » de Maurice Demers
Une expérience totale(ment réussie!)


Femme 

On peut dire beaucoup de choses sur le théâtre d’environnement : à peu près tout ou à peu près rien, ce qui en principe, équivaut presque à la même chose. Toutefois, comme règle générale, tout le monde en parle sans en avoir jamais vu. Il conviendrait peut-être de faire référence ici au vocabulaire technico-philosophique dont on se sert habituellement pour le décrire. Pourtant, après avoir vu « Femme » de Maurice Demers au Centre National des Arts, ces prétentions apparaissent pour le moins superflues.

Le théâtre d’environnement n’est pas une donnée abstraite; bien au contraire. Se présentant comme une sorte de synthèse de tous les arts du spectacle et de tous les arts d’expression, il a comme but premier d’établir une liaison, un pont entre l’art et la vie de tous les jours. Peinture, sculpture, musique, théâtre, animation sociale et culturelle y voisinent constamment créant ainsi un rythme existentiel qui a de profondes implications dans la réalité concrète et palpable. Le théâtre d’environnement n’est pas, n’est surtout pas, un exercice de style pour intellectuels en vacance; il s’adresse plutôt, suivant le thème qu’il développe, à un public profondément impliqué dans la réalité quotidienne et dans les problèmes de tous les jours. Jouant sur les phénomènes de la conscientisation il articule donc toujours, par définition, une remise en question globale.

C’est sans doute là un des principaux attraits de « Femme ». Théâtre d’environnement visant à reposer globalement le problème de la femme impliquée dans une civilisation postindustrielle, le spectacle de Maurice Demers articule sans cesse une problématique bien concrète. Malgré quelques pointes d’esthétisme, en première partie, qui, de façon abstraite, développent les principaux temps du spectacle, « Femme » a le grand mérite de se référer constamment à des situations vécues. Procédant par enquêtes, Maurice Demers a en effet, conçu un espace qui témoigne de la réalité de la problématique féministe : le mythe de la femme objet, de l’être en situation d’infériorité, le concept de l’instinct maternel, le protectionnisme mâle... etc., tous ces pseudo-absolus sur lesquels reposent la supériorité masculine et l’ordre social dans lequel nous vivons passent au crible de la critique directe. Faite tout autant par les comédiens que par les spectateurs, cette critique, aux allures parfois troublantes d’auto-critique est d’ailleurs l’une des données essentielles de l’environnement. Partie intégrante du spectacle, le spectateur est plus que sollicité par l’environnement : il se doit d’y répondre, de s’y impliquer. Les résultats ne sont pas toujours intéressants, les solutions prônées par les participants ne sont souvent que des échappatoires, mais l’essentiel est de pouvoir « tâter le pouls des choses », de façon à savoir où en est la question.
En ce sens également, le théâtre d’environnement est anti-intellectuel puisqu’il ne repose pas sur des théorisations abstraites, mais bien sur une somme d’expériences vécues immédiatement accessibles à tous les participants. Théâtre d’après l’avènement de la télévision son principal avantage est de tenir compte directement du public au lieu de ne le considérer que comme un récepteur éventuel qui n’a droit de parole qu’une fois tout terminé.

Au-delà de cette presque provocation à la prise de conscience, « Femme » se présente également sous un aspect extérieur particulièrement soigné. Dans un contexte visuel et sonore absolument indescriptible tant il est réussi, les comédiens du Groupe du Studio réussissent presque à s’intégrer à un environnement qui en ferait rêver plusieurs. Sculptures dans l’espace, immense cheval mythique, diapositives, bandes magnétoscopiques, cages d’acier, tout cela se ligue pour conjuguer les différents aspects du problème de la femme. Fourmillant de symboles plus ou moins évidents,  tout ce côté technique de la production semble se résumer dans la scène finale que l’on hésite à nommer « crucifixion » ou « extase ». Mettant du moins en relief la structure profonde du spectacle, ( la femme à l’état foetal, les problèmes de la femme, la naissance d’une nouvelle Femme) cette dernière scène est d’une beauté plastique presque incroyable et je m’en voudrais de ne pas signaler l’une des seules jouissances théâtrales que j’ai connues cette saison...
Quant à la partition musicale de Claude Vivier, j’avoue manquer d’adjectif pour la qualifier : de même pour l’exécution qu’en donnait le groupe Exit-Métal. Tout cela reflétait une qualité d’ensemble tout à fait exceptionnelle.

Soulignons en terminant que je n’ai pas été le seul à être témoin de la réussite de « Femme »; j’ai aperçu dans la salle des membres du personnel de la haute direction du TNM. Comme on sait que cette compagnie présentera deux créations québécoises l’an prochain et que ces deux créations ne sont pas encore choisies, il est à espérer que ces messieurs n’assistaient pas par hasard au spectacle de Maurice Demers. Et puis, pourquoi pas? Le hasard fait parfois si bien les choses.

Michel Bélair
« Le Devoir » 26 avril 1971