Mêler le jeu, la science et l’art


Mêler le jeu, la science et l’art 

« Une petite aveugle est venue à mon expo et a participé pleinement, avec ses autres sens, qui sont très développés. Elle a vraiment vécu ce jour-là. »

« Mais on n’a pas besoin d’être infirme, d’avoir perdu un sens, pour savoir exploiter tous les autres. C’est ça la vie : vibrer de tous ses sens. Depuis que je suis dans ce monde-là, je vis beaucoup plus qu’avant. »

Le monde du sculpteur-recherchiste Maurice Demers, depuis près d’un an, c’est celui des environnements. Il a mis huit mois à en créer un dans son atelier de la rue Saint-André à Montréal, et, de la mi-mars à la mi-avril, il a convié le public à visiter la planète “Futuribilia”.

800 terriens sont montés en capsule (jusqu’à trois pieds d’altitude en 30 secondes), ont pris les commandes de la fusée “Spatio-Biéluha” d’où l’on peut faire sortir un robot-explorateur et lui parler (sur la même longueur d’onde qu’une flotte de taxis dont les navigateurs semblaient tout ignorer de “Futuribilia”) et on nourri de bonbons une autre machine dont la main-râteau réclame du carburant toutes les minutes.

Le tout baigné d’éclairages subtils et mystificateurs, enveloppés de sons futuribiles et d’une soie qui ondule éternellement. Trois minutes après qu’on est entré là, la terre des hommes n’est plus qu’un vague souvenir.

L’Art doit s’implanter au coeur de la société, l’artiste doit revenir dans la société dont il s’est éloigné depuis assez longtemps. Je trouve malheureux qu’un gars passe toute sa vie à travailler et que les gens passent tout droit devant son oeuvre, n’y voyant qu’une abstraction.

Maurice Demers a 32 ans, une femme, deux enfants, des projets et un métier pour gagner sa croûte : dessinateur commercial depuis près de 15 ans. “C’est presque de la prostitution. On est limité à copier. Au début, ça me rendait malade. Dès que j’ai commencé à créer, il y a sept ans; j’ai commencé à vivre.”

D’abord la peinture et l’étude de la psychologie des couleurs, tout seul pendant quelques années. Puis il a commencé de coller ses toiles sur des morceaux de bois pour pouvoir creuser dedans et s’est dit : aussi bien faire de la sculpture.

Deux ans en céramique à l’Institut des Arts appliqués. Parallèlement, dans son atelier, Demers travaille le verre. “Je sentais le besoin intense de mélanger les matériaux transparents, opaques et translucides. Ce sera développé davantage dans ma prochaine expo. D’ici un an.”

Et le grand saut dans les environnements? “Tous les arts tendent vers l’intégration. J’ai choisi cette direction, j’ai pensé à mêler le jeu, la science et l’art afin que les gens puissent participer plus intensément. Participer c’est commencer à se poser des questions.”

La radio, les journaux, la télévision ont parlé de “Futuribilia”. Maurice Demers ajoute qu’il est en pourparlers avec l’O.N.F. pour un film avec Radio-Canada pour une émission couleur, avec un directeur de théâtre, avec un architecte, avec des fabricants d’équipement électronique pour son prochain environnement.

“Si l’artiste s’emparait de la science, il pourrait l’humaniser beaucoup. Certains de mes véhicules ont des formes animales ou humaines, certains ont des sexes. C’est pour humaniser la science.”

Robert Millet
Le Magazine Maclean
Juin 1968