Le futur au passé

Le futur au passé

En 1999, lors de l’exposition « Déclics art et société » « Le Québec des années 1960 et 1970 », au musée d’art contemporain de Montréal, la critique de La Presse, Jocelyne Lepage, intitula son article : « Le futur au passé. » Nous étions alors, au cours de ces fameuses années soixante, en voie d’instaurer un monde nouveau, c’était les prémices de ce que nous allions vivre à l’aurore du 3e millénaire. Dans le grand drame cosmique de ce qui se jouait quotidiennement, les femmes et les hommes de ce temps ont esquissé leur changement de nature. Ainsi, au sein de leur société, ils ont gravé les empreintes de nouveaux paradigmes. En créant une multitude d’environnements aux heures glorieuses de notre Révolution tranquille, j’ai fait en sorte que chacun des participants soit appelé à prendre conscience qu’il pouvait devenir bâtisseur de culture, voire créateur de mondes. Cela, au même moment où les scientifiques perforaient l’atmosphère pour s’envoler sur les courbes intersidérales du cosmos. Personnellement, je fus alors conscientisé à la pratique d’un art actif au coeur d’un vaste univers culturel nouveau. Avec l’avènement des technologies d’alors, j’ai cru que l’évolution du monde devenait de plus en plus culturelle, c’est-à-dire faite d’esprit, de mains et d’instruments inventés par les femmes et les hommes de notre civilisation. Dans ce contexte, simultanément, j’ai désiré catapulter les êtres humains au coeur du réel de ce nouveau devenir de l’humanité, cela, par l’attirance du jeu et de la fête, ces éléments sacrés. Ces créations d’environnements et d’événements d’art vivant ont occasionné également l’instauration d’archétypes d’un art citoyen oeuvrant au coeur de la quotidienneté de certains quartiers de la nouvelle nature urbaine de Montréal.

Les humains étaient ainsi conviés à laisser tomber les masques, à se personnaliser, à créer et à s’engager sur les plans artistiques, culturel, social et politique. Individus autonomes, ils étaient sans cesse à la recherche de leur plein épanouissement.

Au sein de ce nouveau média d’environnement total et intégral, la pratique traditionnelle des beaux-arts a alors éclatée. En plus de tous les sens de l’homme qui se sont mis à l’oeuvre, nous avons actionné la démocratisation de l’art, la primauté de la subjectivité, l’interaction, la participation, la cocréation, ainsi que la pure création. Ce furent les mots-clés menant à la production de cette nouvelle démocratie participative. Ainsi chaque personne pouvait s’accomplir sur le plan humain et communautaire en oeuvrant en toute conscience. Elle sentait non seulement le besoin d’agir sur le plan esthétique, mais également sur celui de sa propre existence. En agissant de la sorte, elle avait l’occasion de se recréer, s’identifier et accomplir librement sa destinée. Ensemble, nous avons donc tracé les sentiers du printemps de la nouvelle démocratie, qui allait éclore au seuil du XXIe siècle.

Ce fut la fin d’une grande tradition, où les spectateurs assis, dans le silence de l’inaction et la grande noirceur des salles de spectacles, sombrèrent dans la non-action. Il ne s’agissait plus de subir la culture, mais de la faire. Place à l’art actif! Place aux participants! Place à l’engagement à la lumière de la conscience. Tout cela au sein d’une culture ouverte jusqu’à l’infini. Dans la culture de l’avenir, les citoyens se métamorphoseront en acteurs, en cocréateurs, en créateurs d’une réalité qui se fait au jour le jour, avec, pour et par tous.

Cet agir à grande échelle, puisque mondialisé, témoignera d’une participation en grande mutation. Tous auront l’occasion de diriger leurs efforts personnellement et/ou collectivement, afin de collaborer au mieux-être et au bien commun de l’ensemble de la société. Citoyens d’en bas, du milieu et d’en haut pourront donc collaborer étroitement en vue d’atteindre plus de justice, de paix, d’égalité, d’entraide dans notre monde déshumanisé et dénaturé. Ce passage de l’art dans l’univers de la démocratie et de la réalité sociale, a collaboré à nous faire vivre dans l’atmosphère d’environnements qui ont favorisé l’émancipation de la femme, le respect de l’artiste, la libération des travailleurs, l’accession de tous les étudiants à l’éducation universitaire, l’initiation aux nouvelles technologies, la naissance du processus d’identification collective des Québécois, la familiarisation à une nouvelle réalité inter et multidisciplinaire, la prise de conscience de la part de tous les participants du processus de fonctionnement de notre sphère. Cela, en proposant d’oeuvrer à changer le monde. La conscience collective aura également accompli une partie de sa mission qui est d’assurer la survie de l’humanité.

Je constate, en terminant, que les institutions muséales actuelles ne sont pas encore ouvertes à cette immense vague de fond qui, il y a près d’un-demi-siècle, a provoqué un changement drastique dans l’histoire de l’art, de la culture et de la société contemporaine.

Maurice Demers
Décembre 2011