Mutation des éléments de base

Lors du déroulement des années 1960 et 1970, une grande mutation s'est produite. Il s'agira ici de rappeler brièvement celle qui est survenue au niveau des éléments basiques de l'art environnemental : la ligne, la matière, la forme, l'espace-temps et le champ artistique.

La ligne
Il semble qu'à travers la ligne sinueuse et multiple du langage pictural, les humains ont sans cesse cherché tout au long de leur histoire, à se raconter et à désigner les pistes de leur cheminement. Dès les origines du traçage des empreintes de leur imaginaire, elle apparut sur le sol, sur leur corps, sur les os et sur la pierre. Puis sa valeur symbolique ira sans cesse s'accroissant. À l'ère médiévale, la ligne prendra son grand élan vers la lumière céleste, pour retomber tout au début des Temps modernes sur la ligne d'horizon des Hommes. Lors de la deuxième moitié du XXe siècle, elle explosera, pour prendre les aspects d'univers multivalent, hybride, flou, cybernétique, virtuel, orbital et immatériel.

La matière
L'histoire de l'univers, c'est l'histoire de la matière qui s'organise, nous a dit Hubert Reeves. Et le rôle de l'artiste ne serait-il pas de dévoiler la sublimation contenue dans la transposition du matériel au spirituel? Au sein de l'environnement artistique, on y expérimente le passage de l'objet au sujet. Ce dernier, c'est-à-dire l'individu, devient alors matière première de l'art. Art humain et conscient, il se manifeste par la participation, l'interaction, le geste, l'action, les activités et le mouvement, aboutissant ainsi à de grandes fresques humaines d'orientation identitaire et démocratique. Cette sorte de fluidité oscillatoire que devient la matière-vie-esprit faite d'énergies pures et de forces permet l'extériorisation des émotions et des sentiments, et ce jusqu'à l'atteinte des profondeurs de l'âme. Cette étoffe de l'univers ira jusqu'à me permettre de créer des créateurs et d'être recréé par eux. Et, selon Deepak Chopra, c'est en enchâssant de l'énergie, des ondes et de l'information au coeur de la matière, que les nouvelles technologies (ces prolongements de l'être humain) sont nées.

La forme
La désintégration que représente l'état de la matière a fait en sorte que l'on assiste également à une véritable révolution morphologique. On a dit de l'oeuvre d'art qu'elle représentait l'histoire des formes en condition d'émergence. Au cours du XXe siècle, des artistes et des scientifiques constatèrent que la formation est vie. La forme sera ainsi dissoute. Liée à la conscience, elle engendrera de l'esprit et se joindra à la façon d'être de l'individu. Ainsi, attitudes, comportements, activités, situations, processus et événements devinrent art en acte, s'ouvrant sur des dimensions infinies. À la fin du XXe siècle, on constatait de plus en plus que les formes naissent de manière aléatoire et qu'elles vivent de façon éphémère, faisant ainsi appel au dynamisme du vivant. La déconstruction, voire la dématérialisation formelle poursuivit son oeuvre. Nous sommes ainsi passés des formes d'art aux formes de vie. Et l'esprit contemporain prit corps à travers l'immatérialité des interactions humaines devenues formes nouvelles.

L'espace-temps
Au début du XXe siècle en art comme en science, l'espace et le temps devinrent inséparables. On nomma cette nouvelle entité "le continuum espace-temps". Les créateurs allaient dorénavant s'aventurer non plus seulement dans l'espace, mais tout aussi bien dans la durée. Après la peinture en deux dimensions du Moyen-Âge et celle en trois dimensions de la Renaissance, l'artiste du siècle dernier s'aventura alors dans la quatrième dimension: celle du temps. Cela devait favoriser la création d’un art événementiel composé d'environnements et d'événements multiples. Einstein avança naguère l'idée que d'immuables l'espace et le temps sont devenus relativistes et qu'ils peuvent devenir aussi malléables que de la pâte à modeler. Pour lui la matière agit sur la réalité spatio-temporelle en la courbant. De plus, la ligne, la matière et la forme par leur nouvel état hybride, voire fluide, créent de l'espace-temps. Ce dernier devient lieu d'échanges entre l'Homme et l'univers, de même que monde nouveau d'explorations où tout se meut dans un déploiement infini d'énergies et de vibrations. Ici, le corps humain en mouvement se métamorphose en art en action créant de l'espace et du temps. De plus, en ayant la possibilité de s'inscrire dans le transhistorique, le créateur peut aller jusqu'à déchirer le voile temporospatial de notre univers et rendre l'espace et le temps immortels. Ne s'agirait-il pas ici de peindre sous l'homme momentané, l'homme éternel, dont parlait Victor Hugo?

Le champ
En cette époque glorieuse des années 1960, le vent de l'esprit souffla donc sur nous, il ouvrait ses ailes sur l'immensité. Imprégné d'énergies et de forces puissantes, il nous propulsait vers le champ infini d'une ère nouvelle. Éveillant l'expérience du monde, il était alimenté par une conscience d'agrandissement qui se métamorphosait en pulsions de vie collective, créatrice et transformatrice. Champ qu'un aventurier de l'imaginaire désira transposer en oeuvre d'art total. Transformant la toile en tableau du monde, les vibrations de l'oeuvre de l'artiste se firent alors, par l'interaction et la participation, champ d'expérience, processus de vie nouvelle, construction collective d'autres mondes, entrée vers les cyberespaces et atteinte du summum de la démocratie participative. Tout cela, à travers un flux continu de créations émergeant du vouloir d'une majeure partie du peuple. Cela allait changer « le tissu social, la société vivante, la vie de quartier et les communautés », nous dit Guy Sioui Durand (Inter 108, page 83). Au coeur de cette immense aventure qui consistait à faire oeuvre de vie, le citoyen actif et engagé allait à la fois créer la réalité future. Cet aboutissement survint suite au fait que dans ce champ nouveau et vibratoire, la ligne est devenue floue, la matière s'est transformée en énergie, la forme s'est dissoute et l'espace-temps est devenu une pâte à modeler. Or voilà que c’est avant tout l’esprit du créateur de ces œuvres, qui a, avant tout, transformé le monde des arts à travers ces éléments. L'artiste a ainsi cru que dans ce vaste contexte, chaque action créatrice était une étincelle, alimentant le feu générateur des transmutations perpétuelles.