Origines de l’art total

Il serait important de relever brièvement, ici, l’historique de l’art total à travers les âges. L’environnement est le lieu de l’art total par excellence et l’individu est le premier des environnements. Durant que l’on découvrait quelques empreintes d’art préhistorique datant de plusieurs centaines de milliers d’années, composées en grande partie de déesses de la fécondité, de peintures corporelles et de traces ou décors sur le sol évanescent, l’art des cavernes existait déjà , bien avant Lascaux, dans le massif d’Atapuerca au nord de l’Espagne il y a 500 000 ans. Ce dernier est reconnu actuellement comme étant une des principales origines de l’art officiel en Occident. L’hominidé de l’époque avait une conscience et manifestait des comportements symboliques.  Et, dans ces lieux énigmatiques, certains officiants procédèrent à de grands rituels sacrés. Il s’avère donc que créer des environnements de nos jours, c’est retourner aux origines mêmes de l’art. 

Les grandes cathédrales de l’ère médiévale qui s’élevaient vers le ciel et qui incarnaient à la fois les demeures du peuple furent également de grandes oeuvres environnementales.  Centres de rencontres, de conversations soutenues, d’échanges, de cérémonies religieuses,  brefs: d’existences sociales intenses, elles représentaient les espaces-temps de vie les plus fréquentés de la cité. Dès leurs constructions, les « maîtres de l’oeuvre » et les « gens de l’oeuvre » se considéraient comme des artisans, se partageant alors le labeur, que l’on estimait comme étant des arts mécaniques.

À l’aube de la modernité Richard Wagner, l’un des plus grands compositeurs d’opéra du XIXe siècle lança l’idée d’art total. Cela se passa en 1871, lors de la construction d’un théâtre dans une petite ville de Bayreuth. Pour Wagner, l’oeuvre intégrale devait être la fusion de toutes les expressions artistiques.
Alchimie de tous les arts donc, « Le spectacle doit éveiller des énergies psychiques qui sommeillent en chacun et susciter la communication effective de tous. » (encyclopédie Wikipédia) Pour lui, la collaboration du peuple et de l’artiste était la source même de tout génie.

Au début du XXe siècle, le dadaïste Kurt Schwitters créa une sorte de « tour d’ivoire du créateur », en s’entourant de différents objets réels de la vie quotidienne. On a même dit que ses trois oeuvres maîtresses nommées le « Merzbau »  créées à partir de 1919 devinrent les « chapelles votives du dadaïsme ». Constituées de collages et d’assemblages qui unirent art et non-art, il s’entoura  éventuellement de plus en plus de collages et d’assemblages composés d’affiches, de billets de transport, de prospectus, de lettres d’amis, voire de déchets, etc. créant ainsi les premiers environnements du siècle qui nous a précédé.
En Russie les constructivistes Tatlin, Rotchenko et quelques amis créèrent, en 1917, un café pittoresque qui se rapprocha des oeuvres de Schwitters.

Au cours de la troisième décennie du XXe siècle, Marcel Duchamp créa un environnement à « l’exposition internationale du surréalisme ». Ce fut sous forme de « grotte utérine avec 1200 sacs de charbon accrochés au plafond, un sol jonché de feuilles, un étrange de nymphéas, un brasero (la bohème en hiver!) et un grand lit d’amour, le tout baignant dans un parfum de café du Brésil, avec des marches prussiennes sortant d’un gramophone en forme de femme. » (L’art  au XXe siècle, Taschen 1998.)

Exceptionnellement  au cours de l’année 1948, Norbert Wiener inventa la cybernétique,  cet art et cette science du contrôle de l’efficacité de l’action, entre l’homme et la machine. Cette grande invention devait influencer le devenir de l’art et de la science.

Dans les années 1950, aux États-Unis, on assiste à la saisie de soi-même dans les pérégrinations de la génération Beat, « Sur la route » avec Jack Kerouac, le tout aidé par l’instauration et le développement de l’intelligence artificielle d’Alan Turing et transformé par la déflagration d’énergies propulsant la modernité à son plus haut sommet lors d’événements (events) ayant lieu au Black Mountain College et à la New York School for social Research –avec les recherches de John Cage et de Merce Cunningham principalement. Tout cela, lors également de la découverte de la structure de l’ADN grâce à James Watson et Francis Crick qui pénétrèrent dans les secrets du vivant. Par la suite, tout le monde vibre au son de la musique rock et au rythme haletant des mouvements pelviens d’Elvis; l’art descend dans la rue avec l’arbre de la rue Durocher de Vaillancourt; on s’aventure dans ce qui arrive  ici et maintenant, au cours de l’invention du happening d’Allan Kaprow, le corps devient pinceau vivant, voire il exécute un saut dans le vide avec Yves Klein. Tout cela forme un ensemble intégral qui m’a comblé d’une énergie nouvelle, m’incitant à sortir de mon atelier pour m’aventurer au coeur du réel.

Ma forme d’art intégrale, totale émane donc de cette prise de conscience de la réalité qui me propulsera dans un univers en effervescence, présageant le monde des cyberespaces. Ici à Montréal, au coeur de la Révolution tranquille, je m’aventure donc dans des événements-chocs qui vont secouer quelques-uns des quartiers de vie de la ville de Montréal. Ce sera des événements-environnements participatifs et interactifs qui vont engendrer une participation populaire que l’on nommera éventuellement : démocratie participative. Par la suite, le monde artistique ne sera plus jamais le même. En oeuvrant à instaurer la postmodernité, nous nous éloignons à tout jamais de la modernité de Pellan, de Borduas et des automatistes.

C’est l’heure de la grande ouverture de l’ère spatiale. Le champ des arts visuels et du métier d’artiste s’agrandit, il implique des communautés entières. Artistes et non-artistes sont invités à participer. Nous n’oeuvrons plus entre artistes, dans des vases clos, comme par le passé.Tous ont la possibilité de devenir des actants c’est-à-dire à la fois spectateurs, acteurs, co-créateurs et créateurs. Les beaux-arts puisent dans toutes les disciplines devenant ainsi pluridisciplinaires. L’oeuvre d’art devient authentiquement totale, intégrale. C’est un véritable retour aux origines de l’art. C’est en tant que maître d’oeuvre et à travers 15 environnements que j’ai conçu et réalisé cela. L’ensemble s’est déroulé  en trois étapes : 1-les environnements intégraux, 2-les événements de conscientisation, 3-les avènements de libération, tels que décrits dans mon premier bouquin récemment publié et intitulé « L’art vécu ».

Tout cela nous a mené au grand moment de l’an 2006,  où le magazine Time reconnaissait « you », « vous » -c’est-à-dire l’ensemble des gens qui contribuèrent à forger le destin de l’univers – comme personnalités de l’année.

On retrouve également dans ce nouveau type d’oeuvre d’art que représentent ces événements-environnements participatifs, les sources du Web 2.0 et  des réseaux sociaux actuels.

Maurice Demers
Juillet 2013